La dernière
volonté de Ghassibé Kayrouz un
Maronite de Nabha (1) qui étudiait
pour devenir prêtre. Il a
été assassiné à
l'âge de 22 ans, le 25 décembre
1975, en rentrant à son village pour
passer les vacances de Noël avec sa
famille. Quand la nouvelle de sa mort est
parvenue à l'université
où il étudiait le
français, ses amis ont trouvé
dans sa chambre, cette lettre qu'il avait
rédigée avant de partir.
Quand j'ai commencé à
écrire cette lettre, j'ai senti comme
s'il y avait quelqu'un d'autre qui parlait
à ma place. Aujourd'hui, chacun
d'entre-nous, qu'il soit libanais ou simple
résident est en danger. Et je suis
l'un d'entre eux. Je me vois arrêter et
fusiller sur le chemin qui mène chez
moi à Nabha mon village. Au cas
où cette intuition se produirait, je
laisse ce petit mot à ma famille, aux
personnes de mon village et à mon
pays. Je dis du fond de mon coeur, à
ma mère et à mes soeurs : ne
soyez pas triste ou du moins, ne pleurez pas
trop, ne pleurez pas sur moi. En fait cette
absence, quelque soit sa durée, n'est
qu'une seconde à l'échelle de
l'Eternité. Nous serons réunis
à nouveau, sûr, nous nous
réunirons dans les plaines immenses de
l'Eternité. Là sera la vraie
Joie et la tristesse aussi, si nous sommes
séparés; mais n'ayez pas peur,
la bonté de Dieu nous réunira
ensemble à jamais.
J'ai seulement une demande : pardonnez de
tout votre coeur à ceux qui m'auront
tué. Demandez avec moi que mon sang,
même si c'est celui d'un
pécheur, sert de ranson pour les
crimes commis au Liban et un sacrifice dont
le sang se mélange avec le sang de
toutes les autres victimes qui sont
tombées de tout bord et de toutes
confessions de sorte que la paix, l'amour et
le pardon - qui manquent de nos jours dans
notre pays et dans le monde, puissent
à nouveau fleurir dans les coeurs.
Apprenez aux hommes à s'aimer les uns
les autres et Dieu vous bénira et vous
aidera dans votre vie quotidienne. N'ayez pas
peur, sincèrement, je ne regrette pas
ce monde. Mais ce qui m'attriste c'est de
savoir que vous allez avoir beaucoup de
chagrin. Priez, priez, priez et aimez vos
ennemis.
A tous ceux qui vivent au Liban, je leur
dis: les habitants de la même maison
peuvent avoir des avis différents mais
ils ne se détestent pas. Ils peuvent
se fâcher mais ils ne deviennent pas
des ennemis. Ils peuvent se disputer mais ils
ne s'entretuent pas. Rappelez-vous les jours
heureux quand on vivait ensemble comme des
frères, rejetez la haine et les
querelles. Ensemble, nous avons mangé
le même pain et nous avons bu dans la
même tasse et nous avons
travaillé dans le même champs.
Ensemble nous avons élevé nos
prières au même Dieu et ensemble
nous vieillirons et nous mourrons. Dieu ne
regardera pas si on est chrétien ou
musulman mais si on était bon ou
assassin.
Mon père était
associé à un Metwali (2) que
j'avais l'habitude d'appeler "oncle Hussein"
et j'ai aimé l'appeler ainsi. Ils ont
travaillé ensemble pendant 45
années et ils sont morts sans
dissoudre leur association ou même
faire des comptes. Rappelez-vous: souvent
quand vous ne pouvez pas emprunter un peu
d'argent à votre propre frère,
vous vous adressez à quelqu'un dans le
village parfois c'est un metwaly, un
maronite, un sunnite ou un Druze et il vous
dépanne. Ceci, tout le monde le sait,
mais c'est notre méchanceté qui
nous aveugle. On doit prier chacun selon sa
foi pour que Dieu éloigne les complots
des Grands de ce monde et les transforme en
fumé.
Au ciel, je serais angoissé aussi
longtemps que cette situation durera au
Liban. Faites de mon enterrement un jour
d'ordination, pas une cérémonie
triste d'enterrement. Le père Boutros
peut tout seul, célébrer la
messe de requiem il n'est pas
nécessaire d'avoir plusieurs
célébrants, et si Abou-Khalil
peut faire mon cercueil avec des vieilles
caisses en bois, je serais satisfait. Et
surtout pas de repas. Que les gens me
pardonne et ai pitié de moi ! Surtout
ne tirez pas des coups de feu en mon honneur
(3) je ne suis que poussière mais la
puissance de Dieu me donnera ma part à
la vie éternelle.
Les gens parleront ? Qu'ils parlent ! Ne
vous inquiétez pas. S'ils avaient un
peu d'humanité, pourquoi
s'entretuent-ils, rendant les loups meilleurs
que les hommes? Les hommes se trompent
souvent. Par contre laissez la choral chanter
autant qu'elle le souhaite, elle me rendra
heureux. En écrivant ses quelques
lignes, je pense à vous tous sans
exception : mes compagnons, mes amis, mes
parents... Je voudrais tellement trouver les
mots justes pour leur dire mon affectio et
mon espoir et je pense l'avoir trouvé
: "Priez pour moi, Aimez Dieu, Notre
Créateur et soyez en digne". Et dans
vos prières souvenez-vous des
serviteurs de Dieu, des moines et des nonnes,
parce qu'ils sont les témoins vivants
du Christ sur terre. C'est grâce
à eux que j'ai pu le connaître
et l'aimer.
J'ai quelques dettes, et par n'importe
quels moyens, en vendant une parcelle de
terrain ou en vendant le sang, elles doivent
être payées (il donne une liste
de huit personnes, deux d'entre elles sont
des musulmans).
Je vous demande à tous, encore
pardon parce que je suis pêcheur.
Courage!
1-Nabha est un petit village dans la
Bekaa, Liban, habité par des
chrétiens et des musulmans.
2-Metwali, une secte de la foi
islamique.
3-Vieille coutume au Liban et en
méditerranée, qui se consiste
à tirer des coups de feu en l'air en
hommage aux morts.